MALADIES CARDIO-VASCULAIRES. ALCOOL. TABAC. DROGUE
ENTRETIEN AVEC DR CHRISTELLE P. AKAGHA KONDÉ

La flambée des addictions dans la population gabonaise laisse entrevoir une augmentation des affections cardio-vasculaires, notamment chez les jeunes et les femmes qui s’y adonnent de plus en plus. Dr Christelle P. Akagha Kondé, cardiologue à l’Institut des maladies infectieuses Professeur Daniel Gahouma d’Owendo, dresse un état des lieux qui appelle à agir au plus vite.
« Vivre » – Dr Akagha Kondé, quelles sont les maladies cardio-vasculaires causées par l’alcool, le tabac et la drogue, et comment affectent-elles le bien-être ?
Dr Akagha Kondé – Les maladies cardio-vasculaires désignent, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un ensemble de pathologies touchant le système cardio-vasculaire, constitué du cœur et des vaisseaux sanguins. Elles représentent la première cause de décès et de handicap dans le monde. Le système cardio-vasculaire sert à alimenter l’ensemble des organes du corps humain. En cas d’atteinte de l’un de ces deux éléments, il y aura, par exemple, des répercussions sur :
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- Le cerveau, avec apparition des troubles de la parole, de la marche ou même de la conscience ;
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- Le rein, avec installation d’une insuffisance rénale, qui va empêcher le corps d’éliminer correctement ses déchets ;
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- Le cœur, avec l’insuffisance cardiaque, qui se manifeste par un essoufflement lors de l’effort et des œdèmes des membres inférieurs.
La qualité de vie de la personne concernée s’en trouvera ainsi altérée.
Docteur Akagha Kondé, comment le tabac, l’alcool et la drogue affectent-ils la santé cardio-vasculaire ?
Au nombre des facteurs de risque comportementaux des maladies cardio-vasculaires figurent une mauvaise alimentation, le manque d’exercice physique, la consommation de tabac et l’usage nocif de l’alcool.
Il est démontré par la communauté scientifique, et malheureusement pas bien perçu par les populations, que le tabagisme est un facteur de risque cardio-vasculaire majeur. Le tabagisme entraîne la formation de plaques d’athérome à l’intérieur des artères. Ces plaques vont rétrécir voire boucher complètement les artères. En fonction de la région concernée, il se produira une atteinte de différents organes : au niveau du cerveau, il y a l’accident vasculaire cérébral (AVC) et au niveau du cœur, l’infarctus du myocarde, pour ne citer que ces deux-là.
Les effets néfastes du tabac sur la santé sont présents quelle que soit la dose. Ils sont plus importants en fonction de la quantité et la durée du tabagisme, qui peut être actif (concernant le fumeur lui-même) ou passif (concernant celui qui vit dans un environnement de fumeurs). D’où l’importance de la création d’espaces non-fumeurs dans les lieux publics.
S’il est clair que la consommation de tabac est nocive pour la santé, la consommation modérée d’alcool a longtemps été considérée comme saine. Des études récentes n’ont pas pu démontrer les facteurs de protection de celle-ci. Cet avis médical sur le rôle protecteur de l’alcool tend à disparaître. Une consommation excessive d’alcool augmente la pression artérielle et la fréquence cardiaque. L’alcool favorise le surpoids et le stockage des graisses au niveau de l’abdomen, tous deux facteurs de risque cardio-vasculaire.
La drogue, pour sa part, augmente le risque de troubles du rythme cardiaque : le cœur va battre de façon irrégulière et rapide. Un malaise qui sera bien perçu par la personne.
Quelles sont les maladies cardio-vasculaires liées à la consommation d’alcool, de tabac et de drogue ?
Comme nous l’avons dit plus haut, toutes ces addictions peuvent être à l’origine des maladies cardio-vasculaires, notamment au niveau :
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- Du cerveau, ce qu’on appelle accidents vasculaires cérébraux (AVC).
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- Du cœur, avec l’insuffisance cardiaque ou l’infarctus du myocarde.
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- Du rein, c’est l’insuffisance rénale.
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- Des pieds, ce sont les artériopathies.
La flambée de ces addictions dans la population gabonaise en général et chez les jeunes en particulier laisse envisager une augmentation des maladies cardio-vasculaires chez les jeunes et les femmes qui s’y adonnent de plus en plus.
Combien de patients souffrant de maladies cardio-vasculaires liées à l’alcool, au tabac et à la drogue recevez-vous par mois et quelle est l’ampleur des dégâts causés par ces substances, en particulier chez les populations pauvres ?
L’alcool est incriminé dans près de 44,7 % des accidents vasculaires cérébraux hémorragiques reçus au Centre hospitalier universitaire de Libreville.
Nous suivons de nombreux patients atteints de cardiopathie et présentant une addiction, surtout à l’alcool. La caractéristique principale est le retard de consultation, ces patients arrivant à un stade très évolué de la maladie. Mais en l’état actuel des choses, nous ne disposons pas de statistiques locales nous permettant d’attribuer à l’alcool ou à la drogue l’origine d’une atteinte cardiaque. C’est l’occasion pour nous de susciter ce type d’études.
Quelles sont les raisons que vos patients avancent pour expliquer leur addiction ?
Pour expliquer leur addiction, certains évoquent le chômage et la pauvreté. Pour d’autres il s’agit simplement d’une habitude qu’ils ont acquise depuis leur jeune âge et dont ils ont du mal à se défaire. La poursuite de l’information et de l’éducation des populations sur les dangers de ces addictions à l’hôpital, à travers les médias et par le biais des associations, pourrait contribuer à modifier le mode de vie de ces personnes.
Comment accompagnez-vous les patients atteints de maladies cardio-vasculaires liées aux addictions ?
D’une manière générale, nous sensibilisons les patients et discutons avec eux de la nécessité de se défaire de ces addictions. Nous les orientons vers les personnes qui peuvent leur apporter un soutien. Nous collaborons avec les psychologues et les psychiatres dans ce sens. Il est vrai que dans notre milieu, les patients ont une idée négative de la consultation de psychologie. Notre travail consiste dans un premier temps à leur faire comprendre et accepter l’utilité de cette démarche.
La santé cardio-vasculaire rime avec l’hygiène de vie. Quels conseils donnez-vous à vos patients et au public en général en matière d’hygiène de vie ?
L’hygiène de vie désigne le choix fait par une personne de respecter certaines pratiques qui visent à préserver ou à favoriser la santé. Dans ce domaine, nous conseillons à nos patients et à la population en général d’arrêter le tabac, de ne pas prendre de drogue et d’éviter l’usage nocif de l’alcool. Nous suggérons également de réduire la quantité de sel dans l’alimentation, de manger beaucoup de légumes et suffisamment de fruits, de poisson, de boire suffisamment d’eau de pratiquer une activité physique régulière (si possible, faire au moins 30 minutes de marche rapide chaque jour) et d’éviter les sodas. Il est tout aussi important de trouver du temps pour un sommeil réparateur. Toutes ces mesures aideront à réduire le risque de maladies cardio-vasculaires.
Comment travaillez-vous avec vos patients pour qu’ils adoptent un mode de vie sain ?
Le travail se fait sur le plan individuel et sur le plan collectif.
Au cours de la consultation, nous abordons déjà la question du mode de vie avec notre patient. Après l’avoir interrogé sur ses habitudes, nous discutons de la modification des comportements inappropriés. En fin de consultation, nous dressons les recommandations qu’il devra suivre et discutons avec lui de leur faisabilité. À chaque contrôle, nous vérifions l’application des mesures prescrites.
Nous prévoyons d’organiser des séances d’éducation thérapeutique des patients par groupes pour favoriser les échanges de vécu. Nous comptons aussi sur l’implication des hommes et femmes des médias que vous êtes pour nous aider à sensibiliser notre population, particulièrement les jeunes, à ces addictions.
Quels sont les taux de réussite enregistrés dans le cadre des conseils que vous prodiguez aux patients en faveur de l’adoption d’un mode de vie sain ?
Bien que nous ne disposions pas encore de données statistiques publiées sur la question, notre expérience professionnelle montre que malheureusement le taux de réussite semble assez faible. Faible parce que, au-delà de la santé physique, il faut lutter contre l’ensemble des facteurs qui favorisent ces addictions, au niveau économique et au niveau social.
Votre mot de la fin, Docteur.
Les maladies cardio-vasculaires sont un fléau mondial. Les pays émergents, tels que le Gabon, ne sont pas épargnés. Certains facteurs favorisants sont évitables. C’est le cas des différentes addictions qui ont été évoquées tout au long de cette interview.
Bien que nous ayons évoqué les atteintes cardio-vasculaires, il faut dire que les addictions sont également responsables d’atteintes d’autres organes, tels que le foie, avec la cirrhose qu’on retrouve chez des patients de plus en plus jeunes. Les populations devraient continuer à être informées sur les dangers pour la santé et sur les possibilités de recevoir l’aide nécessaire pour se défaire des addictions. C’est donc pour nous l’occasion de vous remercier pour cette tribune d’échanges et de vulgarisation de l’information.
Propos recueillis par Flavienne L. Issembè