APPRENDRE ET APRÈS ?
Ne vous méprenez pas ! Il ne s’agit nullement de dénigrer l’apprentissage, pas plus que la formation. L’acquisition du savoir demeure plus que jamais une arme fondamentale dans un monde en perpétuelle mutation. L’intitulé cadre plutôt avec le cri de désarroi d’une grande partie des lycéens, des étudiants et des parents.
Plus de 25% des jeunes peinent à s’insérer sur le marché de l’emploi et, circonstance aggravante, ceux qui sont qualifiés et fraîchement diplômés ne font plus exception désormais à ce cruel constat. Cette situation alarmante et inédite ne semble pas trouver d’issue à court terme. En effet, pour l’année 2022, le Gabon prévoyait de réduire de 2806 le nombre d’agents à recruter dans la fonction publique pourtant principal pourvoyeur d’emplois !
Les cas les plus alarmants sont ceux de l’Education nationale et de la Jeunesse et des Sports. Chaque année, un minimum de 200 expatriés sont recrutés à l’Education nationale lorsque, dans le même temps, depuis 2018, les enseignants sortis de l’Ecole normale supérieure (ENS) ne sont quasiment pas pris en compte car n’ayant guère de garantie au niveau du recrutement, de la titularisation et de l’avancement. Les besoins sont pourtant réels tant au niveau du personnel enseignant, du personnel d’encadrement et qu’au niveau de l’administration. Cela est devenu un enjeu d’ordre national. Il n’est pas rare qu’au sein d’une famille des parents comptent deux à trois enfants qui, diplôme en poche, ne sont engagés nulle part.
L’estimation de ce fléau social est assez difficile à établir. Si l’on cumule les 20 000 jeunes se retrouvant en quête d’emplois annuellement et ceux qui ont été compressés, la fourchette se situerait entre 80 000 et 120 000 chômeurs ! Le Mouvement national des chômeurs du Gabon (MNCG) avance le chiffre de 200 000.
Les pouvoirs publics ont-ils failli dans leur politique de droit à l’emploi ? Ce droit à l’emploi est inscrit dans la Constitution gabonaise de 1991, actuellement en vigueur : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. » Autrement dit, les pouvoirs publics doivent mettre en oeuvre une politique permettant à chacun d’obtenir un emploi. Cela, toutefois, ne s’entend pas comme une obligation de résultat, c’est-à-dire comme une obligation absolue de donner à tout chômeur un emploi. Mais ce droit à l’emploi ou au travail ne fait-il pas partie intégrante de la notion de dignité de l’être humain ?
Dans le cas spécifique du Gabon, le moins que l’on puisse dire est que ce pays présente un certain nombre de paradoxes. A ce propos, une récente publication du 11 octobre 2022 émanant du Centre d’étude et de réflexion sur le monde francophone (CERMF) précise que cet Etat se positionne comme le plus riche d’Afrique (hors très petits pays). Son produit intérieur brut (PIB) par habitant se chiffrerait à 8 017 dollars, c’est-à-dire 5,4 millions de francs CFA. Cela devrait a priori être gage d’enrichissement, de développement économique et surtout social afin de booster l’indice du développement humain (IDH).
Comment comprendre ce qui précède et la stagnation du marché de l’emploi ? Ce d’autant plus que les secteurs touristique, agricole et minier font partie du « Plan stratégique Gabon émergent » censé dynamiser le développement et générer des milliers d’emplois.
Le Gabon est le pays qui, par rapport à sa population, compte le plus de fonctionnaires à l’échelle de la planète. 54 415 fonctionnaires en 2004 et plus de 102 367 en 2020, soit une augmentation de plus de 85% en seize ans ! Soixante-trois ans après les indépendances, le premier employeur au Gabon est l’Etat alors que dans la majeure partie du monde, c’est le secteur privé. Plus des deux tiers des emplois sont ceux de la fonction publique générant une masse salariale de 651 milliards de francs CFA en 2021 ce qui a conduit le Fonds monétaire international (FMI) à imposer un moratoire au gouvernement depuis un certain nombre d’années.
Il faudrait inverser progressivement la tendance en créant plus d’emplois dans le secteur privé afin de suppléer l’hypertrophie des administrations étatiques. En 1985, ce secteur avoisinait 80000 emplois. Il a baissé de près de 50% aujourd’hui. Pour ce faire, des investissements plus substantiels s’imposent, mais qui sont obérés par la dette extérieure se chiffrant à 8000 milliards de francs CFA. Cela constitue l’un des principaux freins d’injection de capitaux pour développer de nouvelles activités génératrices d’emplois.
Tout n’est cependant pas imputable aux choix économiques dans les causes de l’inemploi. Il existe une persistance de choix de filières inopérantes. La Commission nationale d’orientation et d’attribution d’allocation d’études ne tient pas toujours compte des priorités de formation décidées par le gouvernement. A cela, il faut ajouter l’esprit de fonctionnariat qui prévaut toujours dans la conscience du gabonais.
Les bacheliers orientés en sociologie, gestion et droit peinent souvent à trouver du travail. Entre 2016 et 2020, 64 077 demandeurs d’emploi se sont présentés à l’Office national de l’emploi (ONE). Le Gabon a l’un des taux de chômage les plus élevés d’Afrique subsaharienne. Il se situe« à 22% à l’échelle générale et à 38% chez les jeunes».
« La population active gabonaise est globalement sous-qualifiée : 70% de la main-d’oeuvre ont un niveau inférieur ou égal au Certificat d’études primaires élémentaires (CEPE), 16,4% sont détenteurs du Brevet d’études du premier cycle (BEPC) et 5,6% seulement du baccalauréat (bac).
Il existe pourtant des compétences très recherchées nécessitant une haute expertise technique dans les secteurs pétrolier, parapétrolier, minier, du transport, du bâtiment et des travaux publics (BTP) et des nouvelles technologies. Des mesures d’urgence s’imposent afin que l’Etat puisse assurer à nouveau le plein emploi.
L’enseignement doit s’adapter à l’évolution économique et sociale. L’Etat providence a atteint ses limites. L’exécutif doit s’efforcer désormais de privilégier l’auto-entrepreneuriat afin d’assurer une autonomisation de plus en plus vitale pour les jeunes générations.
Adia Rénomiè