CONSTITUTION GABONAISE ET DROITS HUMAINS

« La Constitution nationale gagnerait à être introduite à l’école, au lycée, dans les organisations non gouvernementales, ou même dans certaines institutions ; et traduite en langues gabonaises », nous confiait en 2022 le Pr Télésphore Ondo. Docteur en droit public, maître de conférences à la Faculté de droit et des sciences économiques de l’Université Omar Bongo et directeur du Centre de recherches et d’études constitutionnelles, administratives, parlementaires, politiques et internationales (CRECAPPI), le Pr Ondo est d’avis que la Constitution gabonaise reste largement inaccessible aux citoyens.
Son éclairage sur le rôle et le pouvoir de la loi fondamentale et les outils dont elle dispose pour garantir l’effectivité de la mise en œuvre des droits humains dans notre pays sont au cœur de notre entretien.
À l’approche du référendum sur la nouvelle Constitution nationale qui sera prochainement au cœur d’un autre dossier, le magazine « Vivre » vous invite à revisiter les enseignements du Pr Ondo sur la Constitution gabonaise.
« Vivre » – Pr Télésphore Ondo, qu’est-ce que la Constitution nationale, et que représente-t-elle pour la nation gabonaise ?
Pr Télésphore Ondo – Le mot « Constitution » peut revêtir plusieurs sens. Toutefois, la définition juridique renvoie à une double conception de la Constitution : au sens matériel et au sens formel.
Au sens matériel, on peut la définir à partir de son objet, de sa matière, de sa substance ou de son contenu. On parle alors de Constitution matérielle. La Constitution est considérée ici comme l’acte fondateur d’une société politique donnée. Mieux, elle est l’acte juridique précis qui définit le statut de l’Etat, c’est-à-dire qui soumet l’exercice du pouvoir à un cadre juridique précis pour le choix des gouvernants, pour l’organisation et le fonctionnement des différentes institutions, pour les rapports entre ces institutions, enfin pour les rapports entre les citoyens et l’Etat. Tous les États ont une Constitution matérielle, quels que soient leurs régimes politiques.
Au sens formel, on peut également définir la Constitution à partir de sa force, de sa forme ou de sa procédure. La Constitution est dite formelle. Dans ce sens, la Constitution est l’ensemble des règles écrites ayant une valeur supérieure à celles des autres règles qui ne peuvent être modifiées que par un organe spécial et selon une procédure spécifique prévue par la Loi fondamentale, différente et supérieure à celle qui est utilisée par la loi ordinaire. Vue sous cet angle, la Constitution est dite rigide.
La Constitution est pour la nation ce que la Bible est pour les chrétiens, c’est-à dire la Loi fondamentale, la loi sacrée qui est le rempart contre les abus des pouvoirs publics.
Quels sont le rôle et le pouvoir de la Constitution nationale ?
La Constitution n’a pas pour unique objet de déterminer la forme de l’État, d’organiser les institutions et de déterminer les règles de production des normes. La Constitution est un acte fondateur par lequel une société se constitue une identité et décide de l’ordre sociétal voulu. En particulier, elle consacre des droits et libertés fondamentaux et définit les modalités de leur protection. C’est la charte des valeurs libérales des sociétés démocratiques. En définitive, la Constitution se présente comme un acte de limitation des pouvoirs ainsi que l’exprime l’article 16 de la Déclaration française de 1789 sur les droits de l’homme et du citoyen qui prévoit que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
Toutefois, ce rôle de la Constitution a été dénaturé à cause de la fréquence des révisions constitutionnelles, tantôt instrumentalisé par le pouvoir en place ; tantôt déstabilisé par la banalisation des révisions en dépit de la rigidité affiché ; ou encore menacé de l’intérieur par un contenu crisogène et conflictogène; voire même concurrencé par des accords politiques à la portée juridique discutable. Cette délégitimation du sens commun des Constitutions est réelle. S’agissant du pouvoir de la Constitution, il se décline en :
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- Un pouvoir (normatif) de contrainte et de soumission des pouvoirs publics et des personnes privées.
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- Un pouvoir qui institutionnalise la négociation, le consensus.
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- Un pouvoir qui incarne le pacte social fondateur, assis sur des valeurs et principes communs.
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- Un pouvoir garant d’un équilibre juste et harmonieux des partenaires politiques et sociaux.
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- Un pouvoir de règlement pacifique des conflits ou de pacification des rapports politiques et sociaux.
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- Un pouvoir symbolique et juridique car elle justifie la fondation d’un Etat.
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- L’établissement et la révision de la Constitution obéissent à des règles particulières et protectrices.
Quelle est la place des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la Constitution nationale ?
Les droits de l’homme et les libertés fondamentales occupent une place de choix dans la Constitution gabonaise. Car, dès le préambule de la Constitution (1991), le peuple gabonais « Affirme solennellement son attachement aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales » tels qu’ils résultent de la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen de 1789 et de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme de 1948, consacrés par la Charte Africaine des Droits de l’homme et des Peuples de 1981 et par la Charte nationale des Libertés de 1990. De plus, la Constitution prévoit un titre préliminaire intitulé « Des principes et des droits fondamentaux ». Enfin, l’article 1er qui consacre plusieurs droits fondamentaux précise préalablement que « La République Gabonaise reconnaît et garantit les droits inviolables et imprescriptibles de l’Homme, qui lient obligatoirement les pouvoirs publics. »
Comment la Constitution nationale (1991) garantit-elle les droits de l’homme et les libertés fondamentales ?
Elle prévoit plusieurs outils de garantie :
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- Le pouvoir judiciaire, gardien de la liberté individuelle (article 1er et 23 in fine).
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- La Cour constitutionnelle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques (article 83 in fine).
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- Le Parlement, en votant la loi et en contrôlant l’action du gouvernement, participe largement à la garantie des droits de l’homme.
Quelle est l’effectivité de la mise en œuvre des droits de l’homme et des libertés fondamentales au Gabon ?
Le bilan est mitigé quant à l’effectivité de la mise en œuvre des droits de l’homme et libertés fondamentales. Plusieurs facteurs justifient ce bilan :
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- La méconnaissance des droits et procédures par les citoyens et même certains professionnels du droit.
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- Le manque de volonté des organes compétents ; (absence de contrôle).
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- La corruption de certaines institutions, notamment de la justice.
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- La politisation du pouvoir judiciaire.
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- La servitude volontaire des juges ou l’autocensure ;
Quel est votre mot de la fin Pr Ondo ?
La Constitution gabonaise reste largement importée et inaccessible aux citoyens, notamment de l’intérieur. Pour la rendre plus légitime et facilement applicable, il faudrait :
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- La rédiger ou modifier selon des processus inclusifs, participatifs et ouverts.
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- Y introduire les mécanismes fondant l’identité gabonaise.
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- La traduire en langues gabonaises.
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- Décréter une journée de la Constitution et promouvoir la Constitution à l’école, au lycée, dans les ONG ou même dans certaines institutions.
Propos recueillis par Flavienne L. Issembè