LE DROIT À LA SÉCURITÉ DES ÉLÈVES EN MILIEU SCOLAIRE
Depuis quelques jours, LEKA ne veut plus à aller à l’école. Elle souffre d’un mal profond. Victime de harcèlement, elle s’est confiée à sa mère. Cette dernière a saisi l’établissement afin que des mesures fermes soient prises contre les responsables.
Outre le harcèlement, bien d’autres actes de violence sont perpétrés en milieu scolaire. Nombre d’élèves voient ainsi leurs droits bafoués au péril de leur sécurité, dignité et bien-être. Mais qu’est au juste la sécurité de la personne ?
La sécurité est un état indispensable qui permet à l’individu et à la communauté de réaliser ses aspirations. Le droit la considère comme étant « l’un des besoins les plus fondamentaux de la personne humaine en société qui, avec le besoin de justice, seraient véritablement le but poursuivi par la règle de droit, instrument normatif qui permet d’aménager ou envisager la vie des hommes en société dans un certain ordre ».
Selon le Pr Patrice Jourdain, « au sens des droits fondamentaux et des droits de l’homme, on peut bien parler d’un droit à la sécurité dans le prolongement du droit à la sureté. Mais ce droit n’a de force juridique que dans la mesure où il protège les citoyens contre les atteintes de l’État, d’une part, et qu’il impose aux pouvoirs publics de garantir leur sécurité, d’autre part ». C’est précisément ce dernier aspect qui intéresse notre analyse, c’est-à-dire, la garantie par les pouvoirs publics du droit à la sécurité des personnes, particulièrement celui des élèves en milieu scolaire contre toutes formes de violences, quelles qu’elles soient.
Les droits de l’élève ne sont guère différents de ceux du citoyen prévus à l’article premier de la Constitution Gabonaise du 26 mars 1991 et qui sont d’ailleurs davantage précisées par les dispositions de l’article 4 de la loi organique n°003/2018 du 08/02/2019 portant Code de l’Enfant en République Gabonaise, qui énoncent que : « La protection de l’enfant repose sur les principes fondamentaux ci-après consacrés par la Constitution de la République Gabonaise et les instruments juridiques internationaux portant notamment sur : l’intérêt supérieur de l’enfant ; le droit à la vie ; le droit à l’éducation ; le droit à la survie et au développement ; le droit à la non-discrimination ; le droit à une opinion ; le droit à l’information ; le droit à la confidentialité ; le droit à la protection ; le droit à la participation. Cette protection garantit les droits et libertés de l’enfant sans distinction … ».
Ces textes démontrent quel niveau d’obligation ont les pouvoirs publics concernant la garantie des droits fondamentaux du citoyen, notamment, ceux de l’élève, qui au demeurant, est un enfant dont il faut d’abord et avant tout assurer la protection. Il est cependant triste de constater à quel point le droit à la sécurité de l’élève est foulé aux pieds dans l’environnement scolaire du fait d’un certain nombre d’atteintes se manifestant sous divers formes de violence et commis soit par les élèves eux-mêmes ou par le personnel d’encadrement, particulièrement le personnel enseignant.
Une étude, récemment menée par Romaric Franck Quentin De Mongaryas et Euloge Bibalou, sur les « Violences en milieu scolaire au Gabon. Regards croisés autour de l’analyse de contenu des mémoires professionnels des étudiants en fin de cycle à l’ENS de Libreville », démontre que les différentes atteintes au droit à la sécurité des élèves sont notamment commises soit par les élèves eux-mêmes ou par les enseignants. Les différentes causes, formes et manifestations que revêtent ces violences ainsi que leurs conséquences y sont révélées. Pour ce qui est des violences entre élèves, « les causes résultent de plusieurs réalités y compris la démission parentale, la consommation des drogues, les effectifs pléthoriques, les mauvaises notes en classe, le bruit, l’aspect physique des élèves. La violence s’exerce aussi pour des raisons d’auto-défense, pour se faire respecter ou comme condition d’appartenance à un groupe. »
« S’agissant des formes les plus courantes, ces violences sont principalement d’ordre physique et verbal. Les violences verbales renvoient généralement aux brimades, harcèlements, injures, moqueries, menaces, rumeurs, chantages, etc. En ce qui concerne les violences physiques, leurs auteurs prospectent, repèrent puis filent leurs victimes pour les agresser et les dépouiller en groupe dans des coins isolés. D’autres encore arrachent des objets, prennent la fuite devant les enseignants, et quand il y a résistance, ils se battent à l’arme blanche. »
L’étude évoque de nombreuses conséquences issues des violences entre élèves. Aux dommages physiques s’ajoutent « des troubles psychologiques, à savoir : sentiment d’insécurité, manque de confiance, traumatismes, anxiété, repli sur soi, désespoir, tristesse, honte, colère, peur, pleurs, irritabilité, isolement, exclusion sociale, abandon scolaire. Les violences perpétrées par les enseignants à l’endroit des élèves dans l’environnement scolaire sont pour la plupart verbales. Ce sont en l’occurrence les injures, menaces, humiliations et autres moqueries. Ce qui peut expliquer l’absentéisme de l’élève au cours de l’enseignant, son manque de confiance en soi, sa démoralisation, son inhibition et le repli sur soi ».
Une autre étude sur l’état des lieux des violences en milieu scolaire (VMS), menée en 2019 par le Bureau de l’UNICEF au Gabon et présentée en septembre 2021 aux pouvoirs publics a permis de documenter le profil des violences par sexe et selon les différentes entités géographiques du pays. Ainsi, 80 % d’élèves enquêtés ont déclaré avoir été victimes de violences verbales et psychologiques. Respectivement, 56 % d’enseignants et 60 % du personnel administratif ont également subi ce type de violence. Pour ce qui est de la prévalence des violences physiques en milieu scolaire, il ressort que près de 59 % des acteurs du système éducatif, quel que soit le groupe d’appartenance, ont été victimes de cette forme de violence. De même, concernant les violences sexuelles, 18 % d’apprenants et 13 % d’enseignants ou personnel administratif ont déclaré en être victimes. A en croire l’UNICEF, en dépit de ces taux de prévalences élevées, près de 70 % des victimes de VMS n’engagent aucun recours quelle que soit la forme de la violence subie à l’école.
Garantir le droit à la sécurité en milieu scolaire
Trois textes fondamentaux énoncent les mesures visant à garantir le droit à la sécurité de l’élève en milieu scolaire. Il s’agit de la Constitution du 26 mars 1991, la loi organique n° 003/2018 du 08/02/2019 portant Code de l’Enfant en République Gabonaise et la loi n° 042/2018 du 05 juillet 2019 portant nouveau Code Pénal Gabonais.
En son article premier, la Loi fondamentale dispose que « La République gabonaise reconnaît et garantit les droits inviolables et imprescriptibles de l’homme qui lient obligatoirement les pouvoirs publics. » Les alinéas 1-8-17 du même article énoncent un certain nombre d’aspects relatifs à la protection des droits de l’homme en général. Ces éléments peuvent être réduits à l’échelle de l’enfant et, partant, de l’élève.
« Chaque citoyen a droit au libre développement de sa personnalité…Nul ne peut être humilié, maltraité ou torturé »peut-on lire à l’alinéa 1. Les alinéas 8 et 17 font référence à diverses formes de protection que les pouvoirs publics doivent garantir à l’enfant ou à la jeunesse pour sauvegarder leurs droits fondamentaux dont celui afférent à la sécurité.
En s’appuyant sur la Constitution nationale, le Code de l’enfant dans ses dispositions, notamment ceux des articles 2 et 4, vise la protection et la promotion des droits et libertés de l’enfant. En cela, l’article 4 précise les principes fondamentaux consacrés par la loi fondamentale sur lesquels doivent reposer la protection de l’enfant. Cette protection garantit les droits et libertés de l’enfant sans distinction, qu’il soit déscolarisé ou non. En outre la même loi interdit toutes formes de violences à l’égard de l’enfant, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles. Toutes ces mesures, visant à garantir et assurer la protection des droits de l’enfant, sont accompagnées de la mise en place des juridictions spécialisées pour traiter des questions d’ordre pénal et en matière de protection des enfants.
Au terme de certaines dispositions de la nouvelle loi pénale gabonaise, des mesures ont été envisagées pour freiner les atteintes au droit à la sécurité en milieu scolaire. Il est fait référence ici aux articles 148 et 149 du nouveau Code pénal qui évoquent, par ailleurs, les sanctions encourues si l’on s’introduit avec une arme blanche sans motif au sein d’un établissement scolaire ou si l’on s’y introduit sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou règlementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement par exemple.
Le gouvernement via le ministère de l’Education nationale a pris un certain nombre de mesures afin de lutter efficacement contre les atteintes au droit à la sécurité des élèves au sein de l’école. Au-delà des fouilles systématiques des élèves par des équipes d’agents initiées par l’Agence gabonaise de sécurité scolaire (AGASS), des séminaires et autres forums sont organisés en collaboration avec la société civile en vue d’asseoir, entre autres, une stratégie globale de lutte contre les violences en milieu scolaire.
Les recommandations issues de ces rencontres portent notamment sur : l’installation de caméras de surveillance autour et à l’intérieur des établissements publics et privés pour faire baisser les violences et réduire le nombre d’actes de vandalisme ou de vols à l’école, la mise en place d’un cadre de collaboration entre les forces de sécurité et les établissements scolaires, la délimitation exacte des écoles par la construction des clôtures, et l’organisation d’une campagne de sensibilisation nationale sur les violences.
Les défis sont immenses. Si les mesures visant la sécurisation de l’environnement scolaire sont une étape essentielle, les pouvoirs publics devraient néanmoins adopter des textes spécifiques pour mieux protéger les apprenants et engager une réflexion nationale de manière à produire des mesures plus rassurantes.
Armand Zue Ondo