DE L'AUBE AU CRÉPUSCULE

Comme dans la vie de toute organisation, celle d’AFRICA N° 1 devrait, pour être bien comprise, être traitée et commentée sur la base de séquences partant de sa création le 7 février 1981 à ce jour, dans la perspective d’une relance encore bien timide, si l’on prend en compte, et les mutations technologiques, et la concurrence que devrait, si la radio renaissait, lui imposer sans état d’âme son principal rival Radio France Internationale (RFI), déjà à des années lumières, ne serait-ce qu’au niveau strictement conceptuel.
Cela dit, plions-nous au rituel qui nous impose ce jour, d’exposer sur les différents âges d’un média qui a, pendant de longues années, cristallisé l’attention de la majeure partie des Africains d’Afrique francophone et leurs frères de la diaspora, peut-être aussi grâce à la vision du NOMIC, incitant à l’inversion d’une tendance qui faisait du sud, rien qu’un consommateur des produits du nord et du nord leur producteur, avec tout ce que cela a de caricatural, et celle décrite par le Pr émérite André-Jean Tudesq de l’Université de Bordeaux III en France dans son œuvre : « La Radio en Afrique noire » à travers laquelle il présentait l’Africain, parce que de tradition orale, comme l’homme qui, par excellence, a pour principal compagnon, en dehors de l’Humain, la Radio.
Nous voici au cœur de notre propos qui commence par la déclinaison des époques qui ont jalonné le cheminement d’AFRICA No 1, et que nous répartissons en 6 grandes périodes entre 1981 et 2025.
1981-1991 : De la création à l’âge d’or
L’idée de la création d’AFRICA No 1 avait germé dans la tête de feu Omar Bongo Ondimba qui se proposait, pour augmenter la “dimension manipulaire” de Radio Gabon, peut- être en souvenir de “La Voix du Zaïre”, de créer un Centre émetteur ondes courtes qu’il avait décidé d’installer dans le village de Moyabi, entre les villes de Franceville et Moanda dans le sud- est du Gabon. Il y installa dès 1978 quatre émetteurs de 500 kw chacun. Puis, lui vint l’idée de créer une station de Radio de statut public-privé, radio commerciale qui devait, cinq ans après sa création, ne plus bénéficier de la subvention annuelle de l’État (500 millions de francs CFA) et s’autofinancer à travers la location des émetteurs et les recettes publicitaires.
C’est ainsi que la France prit 40% du capital, le Gabon, 35%, et des privés gabonais reconnus sous l’appellation de “Nkoussou Productions”, le reste, soit 25%.
Le Centre émetteur ondes courtes de Moyabi, qui rapportait l’essentiel de ses ressources financières à la Radio, hébergeait des locataires tels RFI, NHK (Japon), Radio Suisse Normande et des congrégations religieuses, entre autres. Jusqu’en 1991, la radio était, semble-t-il, gérée parcimonieusement, ce qui lui valu de se positionner en tête du classement devant ses concurrents dans sa zone de couverture (Afrique francophone : 14 pays et la Région parisienne qui la poussa ouvrir l’antenne parisienne d’AFRICA No 1 Paris, suite à une demande insistante formulée par la diaspora africaine), selon des sondages réalisés par l’Institut “Marcomer Gallup International”. Il ne lui restait qu’à confirmer ce statut. Illustration parmi tant d’autres, jamais un anniversaire comme le 10ème d’AFRICA No 1 n’aura été fêté avec autant de fastes. Tous les correspondants de la Radio avaient été invités à Libreville pour prendre part à un important séminaire à cette occasion. Signe que “le Tam- Tam africain” avait atteint son apogée.
1991-2008 : Le coup dur du retrait de la France et l’arrivée de la Libye
RFI, principal locataire des émetteurs, après avoir tenté de convaincre, sans succès, les responsables de la Radio de revoir à la baisse le coût de l’heure de location et arguant que les installations devenaient obsolètes, préparait le coup d’installer dans la région de l’Océan indien où elle était mal reçue pendant la journée, un Centre d’émission qui, une fois installé, lui a donné les coudées franches pour qu’elle dise “aurevoir” à AFRICA No 1, l’obligeant, car c’est la France qui retirait- là ses billes dans le capital, à recourir à un nouvel actionnaire. Et ce fut, après moult tractations, la Libye de Mouammar Kadhafi qui racheta le média, devenant ainsi l’actionnaire majoritaire (52%) du capital, devant le Gabon (35%) et des privés gabonais, cette fois sous la dénomination de “Son et Image”. Tout commença comme un conte de fée jusqu’au moment où fut assassiné à Syrte en 2011, le guide de la Jamahiriya arabe libyenne, Mouammar Kadhafi. Ce qui ne fut pas sans difficultés pour le partenaire libyen qui ne retrouva plus ses marques et n’eut plus la latitude, au vu de la situation qui prévalait en Libye, de faire face à ses charges. D’où la décision du Gabon, soucieux de préserver cet acquis, de mettre la radio sous redressement judiciaire pour protéger juridiquement le média vis- à- vis de ses créanciers notamment.
2008-2011 : Le spectre de la mort de Mouammar Kadhafi et l’avènement du Redressement judiciaire
Jusqu’à l’assassinat de Mouammar Kadhafi en 2011 à Syrte, AFRICA No 1 semblait reprendre du poil de la bête, et pour cause. Des mesures étaient envisagées pour non seulement reconfigurer les outils de diffusion (émetteurs, cette fois numériques, et les studios), mais aussi réadapter les programmes pour qu’ils collent aux réalités du moment. Selon les dires de certains, la Libye avait pris, en tant qu’actionnaire majoritaire, l’engagement de s’investir dans ce nouveau challenge, sauf que la vision était portée par le guide de la Jamahiriya arabe libyenne, d’où la léthargie née juste après sa disparition. Le Gabon, actionnaire majoritaire en second, a dû prendre, comme qui dirait, le taureau par les cornes en s’investissant dans le règlement des questions de fonctionnement à minima, y compris en réglant les salaires des agents qui assistaient, heure après heure, à l’agonie du grand Tam-Tam africain au grand désarroi des auditeurs navrés de constater le silence-radio qu’offrait AFRICA no 1 qui, naguère encore, “émettait de Libreville et de Moyabi au Gabon”.
Devant des difficultés qui auraient, selon certaines langues, pu être évitées, le Gabon, s’appuyant sur des textes relatifs à la gestion de tels problèmes, n’a pas trouvé mieux que de s’appuyer sur le ministère de la Justice à travers le Tribunal de grande instance, pour commettre un syndic judiciaire. C’était le début du redressement judiciaire avec ceci d’avantageux que cette procédure protégeait la radio face à ses créanciers face auxquelles elle éprouvant depuis d’énormes difficultés à éponger ses dettes et même à faire face à ses charges. Cahin-caha, AFRICA No 1 a continué à fonctionner à minima certes, mais l’esprit des agents demeurait tel qu’il fallait redonner coûte-que-coûte vie à ce grand malade. Dommage que toutes leurs actions soient demeurées vaines au point de conduire les personnels désemparés à une certaine oisiveté.
2011-2015 : Du plomb dans l’aile jusqu’à l’extinction complète
Commencent alors d’énormes difficultés tant financières que matérielles. Le Gabon va devoir se plier seul, les privés n’étant pas en vue, à résoudre non seulement ce qui relevait de sa compétence, mais aussi ce que son cœur et son bon sens lui recommandaient à l’instar du règlement des salaires des agents, presque livrés à eux-mêmes. En dépit de tous les efforts et de toutes leurs plaintes pour obtenir des autorités qu’elles aident la radio à recouvrer ses lettres de noblesse, rien ne fut fait, condamnant AFRICA No 1 à devenir aphone en 2015, ni les émetteurs (5 maintenant dont 4 à Moyabi 1 et 1 à Moyabi 2), ni les studios de Libreville ne pouvant plus donner la pleine mesure. Dès lors, les personnels (journalistes, animateurs-producteurs et techniciens) étaient condamnés à se rendre, la mort dans l’âme, à leur lieu de travail, juste pour, comme cela se voit au corps de garde au village, ressasser de vieux souvenirs, cela jusqu’au soir venu.
2015-2023 : L’oisiveté
Quelle période ennuyante que celle-ci. Il suffit de se référer au mot de Voltaire selon lequel : « le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin. » Obligés qu’ils étaient, les employés de la Radio africaine campaient sur leur lieu de travail du matin jusqu’au soir, mais plus, comme d’habitude, pour vaquer à leurs occupations professionnelles, mais plutôt pour partager des souvenirs que les plus anciens, assurément nostalgiques du passé, tenaient à partager avec les plus jeunes. La tristesse qui se lisait, malgré des sourires en coin, sur les visages traduisait la mélancolie, mais aussi l’envie de renouer avec le passé, sauf qu’une oreille attentive n’était pas tendue à leurs doléances pour qu’elles soient assouvies. Imaginer un monde désemparé, une radio “assassinée” en quête d’un nouveau souffle… Que fallait- il attendre d’un peuple qui avait, dirait-on, perdu ses repères et qui de surcroît ne savait plus à quel saint se vouer ? Sauf, lui demander d’opérer des miracles, mais comment et dans quelles conditions quand on sait tout ce qui a été fait pour éviter que le “Tam-Tam” arrête de battre. 2015-2023 aura, sans contradiction, été la période de l’humiliation : humiliation de ne plus pouvoir exercer ses activités et de n’avoir pas été compris par les autorités sur lesquelles, promesses à l’appui, l’on comptait pour relancer ce qui en 1984 paraissait une aventure, mais pas n’importe laquelle. Que c’était difficile, les personnels passant d’une relation cordiale à une suspicieuse avec ceci de particulier, cela n’avait jamais été vécu dans le temps, de déboucher, comme en politique, sur l’apparition de clans, en dépit de l’unité de façade qu’on était amené au nom de notre éducation, à afficher.
2024-2025 : Une volonté de relance
À la faveur du Dialogue national inclusif (DNI), organisé à l’initiative du chef du Comité pour la transition et la restauration institutions (CTRI), le général Brice Clotaire Oligui Nguema, AFRICA No 1 a été associée, en prélude à une relance programmée, à la couverture de l’évènement, ce après quoi il lui a été recommandé de ne plus cesser de battre jusqu’à ce que les travaux engagés sur son site habituel s’achèvent pour qu’elle y reprenne ses droits. Une aubaine pour beaucoup : personnels, correspondants et auditeurs, ne les oublions pas un seul instant, qui n’attendent des autorités qu’une et une seule chose : qu’elles mettent tout en œuvre pour redonner vie à quelque chose qu’ils veulent tous : un de souveraineté !
Jérémie Nzamba