LA CONDITION ENSEIGNANTE AU FIL DU TEMPS

LA CONDITION ENSEIGNANTE AU FIL DU TEMPS
Professeur Léonard Mba-Essogho*

La condition enseignante est l’objet de vives préoccupations des enseignants, de leurs associations syndicales, des parents d’élèves et de tous ceux qui se soucient de la qualité du système éducatif. Le rôle crucial de l’enseignant n’est plus à démontrer quand on sait que l’enseignant incarne la force motrice du système éducatif.  De nombreuses réflexions ont été consacrées à la condition enseignante, à l’instar de celles de Mboumba H. (2006), Hermine Matari (2014) et Romaric Quentin De Mongaryas (2011).

 

Selon le professeur Claude Lessard, l’expression « condition enseignante » revêt plusieurs significations qui ont évolué selon les époques et les locuteurs. Nonobstant, cette expression réfère à un ensemble de caractéristiques qui définissent la situation des enseignants dans le système éducatif ainsi que leur place dans la société. On utilise le vocable « condition enseignante » pour nommer un ensemble de facteurs qui caractérisent la situation des enseignants, leur formation, leur travail (la tâche et ses conditions), leur statut et place dans la société, la reconnaissance sociale de leur contribution à la société.

 

Selon une recommandation de l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) concernant la condition du personnel enseignant de 1966, le mot « condition » appliqué aux enseignants désigne à la fois la position qu’on leur reconnaît dans la société, selon le degré de considération attaché à l’importance de leur fonction, ainsi qu’à leur compétence, et les conditions de travail, la rémunération et les autres avantages matériels dont ils bénéficient, comparés à ceux d’autres professions. Il convient de préciser, à toutes fins utiles, que la recommandation de l’Unesco s’applique à tous les enseignants des établissements publics ou privés du second degré ou d’un niveau moins élevé.

 

Rôle et missions de l’enseignant

 

Il convient de noter que la profession enseignante comporte un éventail de fonctions cruciales. Ses agents jouent le rôle de modèles, de mentors et de conseillers. Ils ont un impact profond sur les apprenants. Ils transmettent essentiellement des connaissances aux élèves. D’où la nécessité d’être flexible.

 

Les enseignants passionnés peuvent inspirer les jeunes, quel que soit leur parcours. Les grands enseignants soutiennent les jeunes dans l’éducation, mais aussi dans leurs choix de vie et de vocation.

 

Ils doivent écouter et rechercher les signes avant-coureurs des problèmes. Cela permet de susciter ou de renforcer la confiance et le sentiment d’appartenance à la classe.

 

Leur rôle est important dans la création d’un environnement scolaire favorable. En somme, les enseignants ont un rôle vaste qui va de la transmission des connaissances à la protection du bien-être des enfants, en passant par l’inspiration de la pensée critique et des valeurs morales. Ils occupent une position centrale au sein de la société, même si beaucoup d’entre eux estiment qu’ils en sont des parias.

 

Du statut des enseignants

 

Quand on parle des enseignants du second degré au Gabon, de quels enseignants parle-t-on ? Il est difficile de parler uniformément des enseignants. Plusieurs corps coexistent. Les uns sont issus des écoles de formation d’enseignants alors que d’autres sont issus des facultés et autres établissements de formation.

 

La spécialité enseignement du second degré général comporte deux types d’agents publics : les agents publics permanents, fonctionnaires de catégorie A, hiérarchies A1 et A2 et les contractuels de 1re catégorie.

 

On entend par agent contractuel toute personne ayant signé un contrat d’engagement avec l’État ou ayant accepté tacitement un engagement résultant d’une décision du président de la République. Il est engagé individuellement à titre essentiellement précaire et révocable. Ils font partie du corps des professeurs, répartis également en deux groupes, les professeurs adjoints, qui enseignent dans le premier cycle du second degré général, et les professeurs qui exercent dans le second cycle.

 

Des rémunérations des enseignants de 1981 à nos jours

 

Les rémunérations des enseignants, en tant qu’agents publics de l’État, ont suivi la même évolution que celles des autres agents publics, à l’exception des avantages liés à leurs corps et prévus dans leurs statuts particuliers.

 

Des conditions de travail et de vie des enseignants du secondaire public au Gabon

 

Les conditions de travail des enseignants du secondaire public au Gabon se sont sensiblement améliorées depuis 1981, tout comme celles des autres agents publics, en dépit de quelques petits reculs.

 

Le discours sur le malaise enseignant nomme plusieurs réalités :

 

  • L’alourdissement et la complexification de la tâche, la taille et l’hétérogénéité des groupes-classes.
  • Les difficultés d’enseigner associées aux nouvelles générations d’élèves (les enfants hyper stimulés par les technologies de la communication, mais peu encadrés par les adultes) et à l’évolution culturelle (perte d’autorité et de points de repère).
  • L’épuisement professionnel et le désir de quitter l’enseignement. D’où le grand intérêt aux activités politiques.
  • L’absence ou faiblesse de soutien.

Les conditions de vie des enseignants suscitent de grandes inquiétudes. Selon Mboumba H., cité par Hermine Matari dans L’enseignant n’a pas de vie ! : « La plupart des enseignants sont locataires car leur salaire mensuel ne leur permet pas d’être propriétaires d’un logement. Ils ne sont pas décemment logés. Depuis le blocage des recrutements et des situations administratives des agents publics, leurs conditions de vie se sont considérablement détériorées. De nombreux enseignants du second degré ont travaillé plus de dix ans avec un maigre présalaire de près de 150 000 FCFA.

 

En outre, les effectifs pléthoriques ne permettent pas aux enseignants de s’occuper individuellement des élèves et d’être à leur écoute. Par ailleurs, les enfants issus des familles aisées ont tendance à manquer de respect aux enseignants qui sont parfois entretenus par leurs parents.

 

Par ailleurs, la suspension des activités par les enseignants consécutive aux revendications pour de meilleures conditions de travail est à l’origine de tensions entre enseignants et parents d’élèves. Cette crise est exacerbée. par le refus de certains parents de prendre part aux réunions les concernant. D’autre part, les enseignants évoquent des intimidations, des violences physiques et verbales de parents d’élèves.

Certaines incompréhensions, dues à des problèmes de communication, sont souvent à l’origine des conflits enregistrés dans le système éducatif gabonais. Compte tenu des difficultés auxquelles les enseignants sont confrontés (problème de transport, retards répétés, programmes inachevés), ces derniers sont souvent l’objet de blâme par leur hiérarchie.”

 
 

Les tentatives de résolution des problèmes

 

Jusqu’en 2023, le gouvernement a toujours “joué les pompiers”. On tentait de résoudre les problèmes quand les mouvements de grève étaient déjà déclenchés. Pourtant, d’importantes assises se sont tenues au Gabon, en 1983 et en 2010, pour examiner la situation du système éducatif afin d’y apporter les solutions idoines. Il s’agit des états généraux de l’éducation. Apparemment, rien n’a été fait pour mettre en œuvre toutes les résolutions de ces importantes assises. Il s’est posé un problème de volonté politique et de suivi. Seules quelques résolutions ont été appliquées.

 

Solutions envisagées et perspectives

 

Depuis sa prise de pouvoir, le 30 août 2023, le CTRI (Comité pour la transition et la restauration des institutions) a pris à bras le corps les problèmes du système éducatif, tant au plan social qu’au plan infrastructurel. Les premières décisions ont porté sur la levée des mesures de suspension des recrutements et de blocage des régularisations des situations administratives des agents publics. Des établissements scolaires sont en cours de construction sur l’ensemble du territoire national. Nous espérons que le CTRI va également mettre en œuvre toutes les autres décisions qui n’avaient pas encore été appliquées par le gouvernement déchu en faveur des enseignants, à l’instar de l’indemnité d’éloignement destinée aux enseignants exerçant dans zones éloignées.

 

Les premières actions du CTRI  donnent des raisons d’espérer en  des lendemains meilleurs. Cependant, nous devrions méditer ces propos du pape Paul VI tirés de l’Encyclique Populorum progressio (Le progrès des peuples) du 26 mars 1967 : « Le développement intégral de l’homme ne peut aller sans le développement solidaire de l’humanité… L’homme doit rencontrer l’homme, les nations doivent se rencontrer comme des frères et des sœurs. Dans cette compréhension et cette amitié mutuelles… Nous devons également commencer à œuvrer ensemble pour édifier l’avenir commun de l’humanité. »

 

 

*Professeur principal de l’enseignement du second degré général – Retraité en 2017

L’ÉVOLUTION DES LOIS AU FIL DU TEMPS

Selon la loi 21/2011 portant orientation générale de l’Éducation, de la Formation et de la Recherche, la revalorisation du métier d’enseignant est fondée sur le recrutement au niveau de la licence, pour les professeurs adjoints et le master et le doctorat pour les professeurs.


Leur carrière a été gérée depuis 1981 par une série de textes constamment modifiés pour les adapter au nouveau contexte. Il s’agit, entre autres, du statut général des fonctionnaires et du statut général de la fonction publique.


Il convient de relever que la situation des enseignants, en général, et celle des enseignants du second degré général, en particulier, ont connu des améliorations au fil des années, et ce au prix d’une lutte acharnée et des sacrifices consentis par la corporation. Avant 1993, les enseignants n’avaient pas de statut particulier. De nombreuses grèves ont été nécessaires pour l’obtenir.


La loi 20/92 du 8 mars 1993 qui détermine les avantages, droits et prérogatives spécifiques accordés aux personnels du secteur éducation a permis, par exemple, aux enseignants du second degré titulaires d’un DEA de bénéficier de l’année sabbatique, de l’indemnité de logement (cf. art.51) alors qu’ils n’avaient droit qu’à une aide à la propriété dérisoire. Il en est de même de l’incitation à la carrière enseignante, Pife (Prime d’incitation à la fonction enseignante), conformément aux dispositions de l’article 49 de la même loi. Cette Pife a été transformée en une bonification indiciaire qui permet à certains enseignants de bénéficier d’une pension de retraite assez consistante. Aux avantages concédés par la loi 20/92, il manque encore la prime d’éloignement destinée aux enseignants qui exercent dans les zones déshéritées. Nous espérons qu’une grève n’est plus nécessaire pour régulariser cette situation !

 

La loi 2/81 du 8 juin 1981, portant statut général des fonctionnaires, a initié de nombreux changements qui ont amélioré la condition de l’ensemble des fonctionnaires. D’autres textes ont suivi tels que le décret 893/PR/MFP/MINECOFIN du 29/08/1981 fixant les modalités d’attribution des bonifications d’échelon à l’intégration des fonctionnaires. Cette bonification était destinée à promouvoir certaines filières de formation d’accès au corps. C’est ainsi qu’un professeur du second degré pouvait bénéficier d’une bonification d’échelon à son intégration. Par exemple, un enseignant titulaire d’un Capes (Certificat d’aptitude au professorat d’enseignement secondaire), niveau bac+5, au lieu d’être intégré à l’indice 425 comme les autres fonctionnaires, bénéficiait d’une bonification de 4 échelons et était intégré à l’indice 565.


Par contre, la loi 8/91 du 26 septembre 1991 portant statut général des fonctionnaires est venue tout remettre en cause, créant ainsi deux types d’enseignants : ceux recrutés avant 1991 et ceux recrutés après 1991, voire au sein d’une même promotion d’enseignants. La différence des traitements était énorme !


La loi 20/92 du 8 mars 1993 fixant les statuts particuliers des fonctionnaires du secteur de l’éducation est venue remonter le moral aux enseignants parce qu’elle leur accorde de nombreux avantages et des prérogatives spécifiques. De 50 000 FCFA d’aide à la propriété avant 1992, les enseignants du second degré général se voient octroyer une indemnité de logement de 150 000 FCFA alors que l’indemnité de logement des enseignants contractuels était calculée sur la base de l’indice de l’agent concerné. Autrement dit, plus on est ancien, plus son indemnité était élevée. Il persistait malheureusement une discrimination au sein du corps des professeurs du second degré. Dans la même veine, dans le cadre de l’amélioration des conditions de vie et de travail, les enseignants exerçant dans les zones éloignées bénéficient d’une indemnité d’éloignement, selon les dispositions de l’article 49 de la loi 20/92. Malheureusement, cette disposition n’est pas appliquée depuis la promulgation de la loi, soit trente ans !


La loi 1/2005 du 4 février 2005 portant statut général de la Fonction publique  prévoit  l’indemnité des services rendus. Le gouvernement déchu a tenté de supprimer cette disposition. Cette situation fait encore l’objet d’un litige entre l’État et les fonctionnaires. Le Conseil d’État a été maintes fois saisi par les agents publics admis à faire valoir leurs droits à la retraite. L’État a toujours été condamné par le Conseil d’État. Le contentieux n’est toujours pas vidé.

Léonard Mba-Essogho

Professeur principal de l’enseignement du second degré général – Retraité en 2017

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