Le paradoxe de l’école gabonaise

Un enseignant, ancien directeur d’établissement aujourd’hui à la retraite, livre sa part du constat :« L’école gabonaise affiche un taux de scolarisation de 90 % et un écart garçons-filles de seulement 1,5%. Paradoxalement, le niveau de rendement et de réussite des apprenants est particulièrement bas. Après avoir connu un âge d’or, et ce jusqu’aux années 1990, l’école gabonaise, réputée pour être un modèle dans les pays de la région dont elle accueillait des professeurs et des élèves, s’est profondément déstructurée en raison d’une crise sans précédent. Grèves, climat d’insécurité et sureffectifs dans certains établissements de 80 à 100 élèves par enseignant contre 21 dans les pays à revenu intermédiaire.
Le taux de redoublement et d’abandon scolaire est en nette augmentation. Il y a une inadéquation avec les normes de l’Unesco, sans oublier que le bac gabonais n’ouvre plus de facto les portes des universités les mieux cotées. Si certains établissements comme Léon Mba et Nelson Mandela étaient protégés en ce sens qu’il y avait un ratio classe qu’il fallait respecter, un internat et un climat sécuritaire exemplaire, les élèves subissent, hélas, les affres décrits plus haut. Les établissements qui se distinguent sont notamment le Prytanée, Calasanz, Mbele et l’Immaculée Conception. »
Ces propos sont étayés par des apprenants
Xavier : « En termes de forces, lors des examens tels que le BAC et le BEPC, des établissements comme les lycées Jean Baptiste Obiang Etoughe, Jean Hilaire Aubame Eyéghé, Mbélé, Mohamed Arisani et Montalier ont un bon pourcentage de réussite entre 50 et 100%. On peut donc dire que la qualité de l’enseignement est bonne. »
Kernelle : « On a de très bons enseignants. Leurs cours sont très explicites. »
Orthiniel : « Mon établissement a une bibliothèque et du matériel de travail de très bonne qualité. »
Kernelle : « Nous manquons d’instruments au niveau de certains départements et sommes exposés à l’insalubrité au sein de l’établissement du fait de la proximité de la poubelle avec les salles de classe. »
Orthiniel : « Nous manquons d’enseignants. Les classes sont surchargées en raison du manque de salles et de tables-bancs. Certains élèves se retrouvent à quatre sur une table-banc. »
Berny : « Les faiblesses sont le manque de salles de classe, de tables-bancs et d’outils informatiques. »
Kévine : « J’aimerais également parler de la bourse en me référant à mon exemple. Quand j’étais au lycée, la bourse me permettait de subvenir à certains besoins d’ordre éducatif. A l’université, j’ai pu poursuivre mes études grâce à elle. La bourse est un avantage pour les élèves dont les parents ne sont pas aisés. Aujourd’hui, la situation est de plus en plus compliquée. Les élèves sont obligés de jongler entre l’école et les petits boulots pour poursuivre leurs études. »
Qu’en pensent les parents d’élèves ?
Annick Sono :« Les faiblesses sont a priori le manque de salles de classe et, partant, les sureffectifs. Certains lycées et collèges n’ont pas de professeurs jusqu’en fin d’année. »
Xavier K. Rovaria:« Au sein des établissements privés et publics, les faiblesses se caractérisent par le manque d’enseignants et de tables-bancs dans certaines classes, notamment en 6e, , 5e et 4e. Les enfants ont des difficultés pour écrire car ils sont souvent assis àtrois, voire quatre, cinq ou six sur une table-banc. Ecrire dans ces conditions est difficile. Le ministère de l’Education devrait songer à augmenter le nombre de tables-bancs par classe et créer de nouvelles salles de classe. L’insécurité est un autre problème majeur dans certains établissements. »
Frandy K. Bassatsi : « Un autre niveau de faiblesse a trait aux cours inachevés. Mon enfant me dit qu’il n’arrive pas à écrire en raison du manque de tables-bancs. Un enfant qui rentre à la maison avec les cours inachevés ne peut pas bien étudier. Par ailleurs, une fois en classe, certains enseignants qui sont censés donner quatre cours dans la semainen’en font qu’un ou deux et, par chance, trois. En mathématiques, par exemple, si le professeur ne vient pas ou s’il vient une fois dans le mois, l’enfant aura un handicap en classe supérieure. Pour rattraper ce retard, je suis mon enfant à la maison ».
Quelles réformes pour le système éducatif ?
Kernelle: « Il faudrait fournir plus de matériel, réhabiliter certains bâtiments, en construire d’autres. »
Berny :« Je changerai certains professeurs qui ne sont pas aptes à bien enseigner. »
Kévine:« Il faudrait maximiser l’emploi des enseignants gabonais. »
Le point de vue des parents rejoint, à quelques nuances près, celui des élèves.
Annick Sono :« A mon niveau, le changement doit se faire au niveau de la tête. Le ministre doit être quelqu’un qui est de l’éducation nationale. Il faudra mettre les gens à la place qu’il faut. »
FrandyK. Bassatsi : « Je réduirai les effectifs des salles de classeIl faudra aussi pourvoir les établissements en enseignants de qualité parce que certains viennent en classe, disparaissent et réapparaissent à la fin du mois pour toucher leur salaire. Et c’est l’élève qui prend un coup. Un autre changement consistera à résoudre le problème de l’insécurité. »
Par ailleurs, l’on se demande si l’école doit ou non privilégier la théorie à la pratique. D’aucuns estiment que le système éducatif devrait promouvoir davantage le niveau de connaissances nécessaires à l’apprenant pour qu’il soit prêt à affronter les problèmes liés au développement de notre pays. Cette méthode apporterait ainsi un certain équilibre au système éducatif et permettrait aux apprenants d’avoir un niveau compétitif.
« Je suis plutôt satisfait de la formation que l’éducation nationale nous propose », affirme Marc-Antoine, étudiant à l’Université des sciences et techniques de Masuku (USTM). « Sur le plan théorique, les enseignants que j’ai eus avaient de la matière et cherchaient à relever le niveau de chaque élève au lycée. Mais je ne vais pas généraliser car j’étais dans un établissement de privilégiés où l’on avait accès à des laboratoires bien équipés. »
« Comparé à l’Occident, notre génération peine à accéder à l’outil informatique. La plupart d’entre nous y ont accès à leur entrée à l’université. Même si la tendance semble s’inverser dans les écoles, notre système a encore des années de retard face aux défis que va devoir relever notre pays à l’avenir : les défis de l’informatique, de la technique, du numérique et de la technologie. »
« En ce qui concerne l’université, ajoute Marc Antoine, je suis mécontent de ma situation. La succession de grèves nous fait perdre des années. Les apprentissages théoriques sont bons mais encore une fois, il nous manque beaucoup de pratique. Non pas faute d’avoir essayé, mais par manque de moyens. Les universités publiques gabonaises ne sont pas dotées des dernières technologies pour avoir des formations de pointe. »
Tout cela donne à réfléchir quand on observe le taux de réussite aux examens. Doit-on revenir à l’ancien système ou doit-on combler le système actuel avec de nouvelles méthodes d’apprentissage technologiques et pratiques ?
Parent d’une jeune bachelière, M. Harvey a un avis nuancé : « Bien que le système soit gangréné par la corruption, je lui fais confiance. Je suis d’ailleurs un pur produit de l’éducation nationale gabonaise et je ne m’en suis pas si mal tiré malgré les grèves à répétition. Aujourd’hui, je prends la décision d’expatrier ma fille seulement pour une formation moins rythmée par des grèves. »
Marlène B. Hombomoto