LE QUOTIDIEN DES « INVISIBLES »

« Ils sont des centaines de milliers, mais on ne les voit pas, ils vivent parmi nous, mais ils sont à l’écart. Victimes d’une sorte d’omerta médiatique, les écartés de notre cadre de vie et de cadre de vue, les invisibles sont tous ceux que vous ne verrez généralement pas sur les médias au Gabon. Ces gabonaises et gabonais, ces individus qui font tache, sont les habitants des matitis. On les trouve dans toutes les métropoles d’Afrique, et même dans celles comme Libreville. »
Extrait de l’œuvre « Les Matitis » de Hubert Freddy Ndong Mbeng.
Selon l’Observatoire international des maires sur le vivre ensemble, Libreville est la ville la plus peuplée du Gabon avec une population estimée à 850 000 habitants et 6 arrondissements subdivisés en 117 quartiers. De Derrière-la-Prison à Cocotier en passant par Malaba au PK12, où la vie au quotidien est une épreuve, un parcours du combattant pour les habitants, notre reportage a fait une immersion dans les profondeurs de ces agglomérats de la capitale où le braquage est une norme, où les glissements de terrain emportent des maisons et endeuillent des familles.
Profil et mode de vie des habitants des matitis
Dans un quartier populaire dénommé Derrière-la-Prison (DP), communément appelé Boston par ses habitants qui font référence à cette ville des États-Unis où la violence et le crime sont élevés, M. Okoumba Asseko, résident depuis 2014, nous fait découvrir le quotidien de DP. « Les conditions de vies sont difficiles à Derrière-la-Prison, les gens qui y vivent sont pauvres, démunis, braqueurs. » Ces profils d’habitants révèlent une réalité peu reluisante.
« Le prix des loyers est accessible. Ici, beaucoup de gens sont propriétaires. Les bailleurs sont humains, ils connaissent les conditions de vie des habitants du matiti. C’est le pauvre qui vient vivre ici et le bailleur le comprend », affirme M. Okoumba Asseko.
C’est le pauvre qui vit dans les matitis, c’est le rejeté de la société qui n’a pas d’éducation qu’on retrouve dans ces quartiers sous-intégrés. M. Okoumba Asseko a fait son constat : « Nous retrouvons des constructions anarchiques, des toilettes dans la cuisine, des logements en tôles, le salon du voisin est le lieu de passage de tout le monde. »
Un logement, mais au prix des vies humaines
Les maisons sont construites de façon anarchique. Etudiant en communication résidant au quartier Malaba, Mboumba Mafouana nous raconte son expérience : « À Malaba, il y a des éboulements. Une pluie diluvienne a emporté un vieillard. Il était déjà couvert de boue. Les sapeurs-pompiers sont arrivés autour de 11 heures le lendemain. »
L’accès à ces quartiers est pratiquement impossible pour des interventions de sauvetage. Quand surviennent des catastrophes, les ruelles sont inaccessibles pour les véhicules.
Le jeune étudiant ajoute : « Malaba est un quartier où la majorité des constructions sont faites sur des collines. Pour se frayer un chemin, des engins viennent faire des travaux. » Les infrastructures telles que les dispensaires ou les centres médicaux n’existent pas dans ces quartiers.
Le matiti, c’est la mort facile. À Malaba, tout est à haut risque d’après notre étudiant : « La majorité, c’est des maisons inachevées recouvertes de bâches pour être à l’abri ou de vieilles maisons qui menacent de s’écrouler au moindre vent. »
Le vice, la prostitution, les beuveries, les jeux d’argent et le vol sont les activités auxquelles s’adonnent les jeunes des matitis.
À Cocotier depuis quatre ans, Eureka Idomba, étudiant dans une école supérieure, nous partage son expérience : « La pauvreté dans ce quartier entraîne la délinquance et la prostitution. Un boutiquier prostitue des mineures à cause d’un sachet de riz ou d’un quart de litre d’huile. »
L’inaction des pouvoirs publics a tendance à faire de ce quartier l’un des plus dangereux de Libreville. Eureka Idomba témoigne : « Le niveau d’insécurité est effrayant, il n’existe pas d’heure pour les braquages. ». L‘étudiant en profite pour aborder la question du faible taux de scolarisation des jeunes de son quartier : « Il est devenu rare de voir un enfant de Cocotier réussir à l’école. »
De Derrière-la-Prison à Malaba, en passant par Cocotier, le constat est accablant : habitat précaire, absence d’infrastructures sociales, insécurité, délinquance juvénile, déperdition scolaire et chômage. Dans les matitis, les habitants luttent entre le désespoir et l’espoir.
Okoumba Asseko, Idomba et Mboumba Mafouana rêvent simplement de logements décents, d’eau et d’électricité accessibles, d’écoles et de centres médicaux.
Éric Ozwald