PARLONS LOGEMENT ET SANTÉ AVEC ADIREN MOUGOUGOU

  LOGEMENT : QUELLE ISSUE À LA CRISE ?

Professeur Bidzo

À l’instar des jardins, des services sociaux, des commerces et des transports en commun, le logement est une composante essentielle de l’habitat humain. Facteur d’épanouissement individuel et de développement socio-économique des nations, il n’en demeure pas moins l’un des enfants pauvres de l’économie nationale et la première dépense des foyers gabonais.


« Vivre » – Monsieur Médard Mengue Bidzo, vous êtes spécialiste en économie et professeur à l’Université Omar Bongo (UOB), quel est le rang de priorité du logement dans l’économie nationale ?

 


Pr Mengue Bidzo – Le logement ou le local à usage d’habitation est le produit du secteur dit du logement. L’activité dans ce secteur s’articule principalement autour de l’industrie de l’immobilier et de la construction. La question du logement se pose généralement sur les plans politique, social, sanitaire, environnemental et économique.


Au plan politique, le problème du logement se pose en termes de droit au logement et de lutte pour le logement. Au niveau social, on se préoccupe généralement de logement social et d’accès au logement. Quant à la santé et à l’environnement, l’intérêt est porté sur le mal logement et, partant, sur la qualité du logement. Cet aspect s’intéresse surtout au logement en tant qu’habitat et intègre ainsi le mode de vie. Dans le domaine économique, enfin, on se préoccupe principalement de la crise du logement (notamment le déficit en logement), des prix et des coûts des logements.


Sur le plan économique, le logement est considéré comme un besoin économique dont la satisfaction commande que soient trouvés et combinés les moyens humains et financiers. Je m’explique. Pour produire un logement, il faut disposer suffisamment de ressources humaines et financières. La crise de logement survient généralement de l’absence ou du mauvais usage de ces ressources. Dans le cas du Gabon, on peut penser que la persistance de la crise du logement se justifie surtout par une mauvaise gestion des ressources financières et humaines.


Le classement du logement dans le ranking des priorités au Gabon relève de la responsabilité du gouvernement. Visiblement, le besoin des populations en logements ne serait pas à la première place à la lumière du Plan national pour le développement de la Transition (PNDT). Ce qui pourrait ajouter une autre explication à la crise du logement au Gabon, à savoir la volonté politique. Néanmoins, lors de son passage, le 31 mars 2024, à l’émission « Les grands dossiers » sur Gabon Première, le ministre de l’Économie et des Participations, Mays Mouissy, a reconnu que le loyer constituait la première dépense du ménage gabonais et, de ce fait, participait ostensiblement à la cherté de la vie. Je me suis réjoui de cette prise de conscience.


Quel est l’état des lieux du logement au Gabon ?

 


La Banque mondiale estime que le déficit en logements au Gabon est de l’ordre de 150 000 unités, soit une proportion annuelle de 6 000 à 7 000. Elle avance par ailleurs que plus de 80 % de la population n’ont pas accès à un logement sur le marché formel de l’immobilier, rendant ainsi difficile le contrôle des prix dans ce secteur. Toutes choses qui ont conduit les plus hautes autorités dans le cadre du Plan national de développement de la Transition (PNDT) à projeter la construction de 6 000 logements sociaux d’ici à 2026.


La persistance de la crise ou de la pénurie du logement peut trouver plusieurs explications. J’en vois principalement trois.


La première est relative à la situation de pauvreté profonde des Gabonais. Je pense qu’environ 40 % des Gabonais vivent sous le seuil de pauvreté. Qui dit pauvreté dit manque de revenu et quand on n’a pas un revenu, il relève de la gageure de construire ou d’acheter un logement. La deuxième raison se trouve au niveau des coûts de construction qui sont très élevés. Les parcelles de terrain coûtent excessivement chères au Gabon. C’est inacceptable dans un pays sous-développé, sous-peuplé et couvert à près de 90 % par la forêt. Les prix des matériaux de construction sont également très élevés. C’est incompréhensible. On pourrait soupçonner que la loi du marché en soit responsable lorsque le secteur se trouve dans les mains du privé. Or, l’étatisme touche également cette activité. Les résultats sont les mêmes, le logement est cher.


La troisième raison, à mon sens, est à chercher dans la volonté politique des gouvernants. J’ai l’impression que le lobbying politique des propriétaires contraint les autorités en charge, l’État, à mettre en place une véritable politique de logement au Gabon, d’autant que plusieurs autorités sont elles-mêmes parmi les plus gros propriétaires. Toutes choses qui empêchent la fourniture par l’État de logements à grande échelle et à des prix correspondant aux revenus moyens et faibles. Au demeurant, l’offre est toujours faible face à une demande très élevée dépourvue totalement de la force de négociation. Faute d’une véritable démocratie, les populations démunies demandeuses de logement sont dans l’incapacité d’imposer une véritable politique de logement par le vote.


Quel est votre avis sur le projet de construction de 6 000 logements sociaux d’ici à 2026 ?

 

Cette une bonne réaction du gouvernement à la persistance de la crise du logement. Il reste l’application. Je souhaite d’ailleurs qu’à côté des logements sociaux, d’autres types de logements soient proposés pour les revenus moyens. Après, les logements sociaux ne doivent pas être comme des abris des planteurs de cacao dans la forêt. Il faut mettre à la portée des Gabonaises et des Gabonais des logements décents et dignes qui tiennent compte des éléments de solidarité et de convivialité de nos familles. Le ménage gabonais est hospitalier.


Selon le Plan d’accélération de la transformation (PAT), le déficit en logements s’élève à 257 000 unités.


Selon la Banque mondiale, le déficit s’élève à 150 000. Dans tous les cas, il est très profond et il est très urgent de s’y attaquer. Je m’explique. Voyez-vous, on critique souvent le rendement du travailleur gabonais, notamment le fonctionnaire, mais on a tendance à oublier que les facteurs comme l’absence de logement ne sont pas de nature à motiver ce dernier au travail. Le travailleur gabonais est préoccupé. S’il n’a pas la chance d’obtenir une nomination dans une grande direction et bénéficier ainsi des primes attachées à cette fonction, il passera les vingt premières années de sa vie professionnelle à se soucier de la construction d’un logement décent. Certains n’y arrivent même pas. Un tel individu ne peut avoir un rendement professionnel important. L’accès au logement constitue d’ailleurs une cause de la persistance à des niveaux élevés de la corruption et des détournements des deniers publics. Le logement, c’est la vie.


Quelles sont les solutions majeures au problème du logement ? 


Il faut dire qu’il y a une prise de conscience par les plus hautes autorités de la question du logement au Gabon et de ses effets corrosifs sur le bien-être des populations. Cet état de fait se traduit déjà dans la prise de la nouvelle mesure lénifiante de la mercuriale des prix qui intègre notamment ceux des matériaux de construction. Après, il faut aller plus loin, une mercuriale n’ayant vocation qu’à réguler les prix à très court terme. Donc, elle ne peut éponger suffisamment le déficit abyssal en logements enregistré par le Gabon. Le gouvernement doit accélérer la fourniture de logements aux Gabonaises et aux Gabonais. C’est une question centrale de dignité, mais également de développement durable.


À mon avis, le logement doit occuper l’une des premières places dans le ranking des priorités de développement du Gabon. On peut profiter notamment de la transition conduite par les militaires pour apurer une grande partie de ce déficit. La peur du militaire aidant, plusieurs goulots internes qui freinent la fourniture des logements peuvent être facilement démontés. Sans être totalement anti-démocratique, je compte sur le pouvoir militaire pour dynamiter tous les blocages et dynamiser ainsi la fourniture en logements au Gabon. Je pense, par exemple, à une mesure qui pourrait enjoindre la fourniture de parcelles aux Gabonais sur le crédit bancaire ou budgétaire reposant sur le smig.


Dans la même veine, on peut réduire de manière drastique les prix des matériaux de construction locaux. Et cela serait une mesure unilatérale du gouvernement sans négocier avec les opérateurs qui spéculent généralement sur ces produits. Aussi, le gouvernement peut-il créer un fonds d’investissement public à partir des rappels soldes des agents publics et enjoindre à ces derniers de venir y souscrire pour se voir construire chacun une maison en fonction de sa créance, dans un lieu du Gabon de son choix.


Les autres retombées positives d’une telle mesure seraient la création d’emplois à travers le pays, le développement de l’économie locale et, partant, la relance de l’économie nationale. En effet, les entreprises du secteur industriel du logement qui vont bénéficier de ce fonds vont se déployer sur tout le territoire. Ces entreprises pourraient être des petite et moyennes entreprises (PME) gabonaises ou étrangères, pourvu qu’elles acceptent de fournir les logements aux conditions économiques et financières définies par le gouvernement en fonction du fonds d’investissement. Une autre solution serait de faciliter définitivement l’accès au crédit bancaire immobilier sans apport et à des coûts raisonnables. Les militaires peuvent obtenir cela de nos banques et établissements de microfinance.


Comment le secteur du logement peut-il contribuer à la relance de l’activité économique ?


Je soulignais plus haut que le logement constitue une préoccupation économique majeure, lorsque le secteur de l’immobilier et de la construction censé le produire ne le fait pas suffisamment. Le déficit conséquent peut conduire à une crise du logement. La résorption d’une telle crise peut constituer une aubaine de relance économique. En effet, on peut relancer l’économie par le logement à partir de deux variables principalement. D’abord, à travers la consommation. La fourniture des logements va dynamiser le crédit bancaire et budgétaire. Elle va également augmenter le pouvoir d’achat des ménages dont le loyer constitue la première dépense. Ensuite l’investissement. Qu’il soit public ou privé, l’investissement dans le logement, compte tenu de l’ampleur du déficit, va créer plusieurs emplois et réduire le chômage. Il va aussi permettre un développement harmonieux des localités.


Votre mot de la fin ?

 

Permettez-moi de vous exprimer toute ma gratitude pour l’intérêt et la considération que vous portez à ma modeste personne. Mon mot de la fin est un souhait. Un souhait d’espérance. Je formule le vœu que les autorités de la Transition puissent ranimer le rêve dans les consciences individuelle et collective du Gabonais. Cela passe notamment par une démocratisation du développement durable. Les autorités actuelles doivent se servir de leur pouvoir militaire pour construire et imposer un État de droit qui génère des composantes démocratiques favorables au développement économique. Je voudrais enfin insister sur le logement sans lequel le Bantu ne se sent pas digne et, partant, humain. Et sans la dignité, l’homme n’est plus motivé à œuvrer en société. Enfin, le logement est un secteur d’activité important à partir duquel peut se produire une stabilisation macroéconomique. Sans omettre que le logement améliore la santé et l’éducation. Il constitue donc un déterminant robuste du bien-être d’un individu.

Propos recueillis par Flavienne L. Issembè

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