VIOLENCE À DOMICILE

VIOLENCE À DOMICILE

Derrière les portes, loin des regards, ou en présence de leurs proches, les victimes des violences domestiques crient au secours. Nombre d’entre elles, meurtries, ont rejoint l’organisation non gouvernementale (ONG) Femme Lève-Toi et en sont devenues des membres actifs. Darleine et Télésphore sont de ceux-là. L’ONG les a aidés à se relever, à se reconstruire, à donner un sens à leur vie et à secourir d’autres victimes.

Qu’est-ce que la violence domestique et quelles sont les séquelles que vous en avez gardées?

Darleine : La violence domestique se définit comme le fait de subir des actes de violence en milieu familial. Les violences domestiques sont physiques, verbales, psychologiques, morales, sexuelles et mêmes financières. J’ai subi toutes ces formes de violences de la part de mon époux. Pour un oui ou pour un non, pour un mot mal placé, il en venait à ces actes de violence. Subir des violences au plan moral vous marque à vie. J’ai des flashbacks. J’ai subi des traumatismes. Par la grâce de Dieu, j’arrive à reprendre le dessus, à oublier. Pour ce qui est des séquelles physiques, je ne m’en suis rendu compte que bien après. Lors d’une dispute, mon époux m’avait giflée à l’œil droit. Pendant une semaine, je n’arrivais pas à l’ouvrir. Quand je venais à la lumière du jour, c’était horrible. C’était très douloureux.

 

Télésphore : J’ai d’abord subi des violences verbales de mon épouse pour la simple raison que je vivais une situation financière difficile. Quand ma femme parlait, ses enfants applaudissaient. C’est un choc psychologique mais je m’interdisais de réagir, de frapper une femme. Je lui donnais des conseils. Au plan physique, j’ai pris un coup de vieux. Sur le plan psychologique, les violences provoquent des chocs. Tenez, quand on me parle du mariage, ça me refroidit. J’ai des angoisses. Quand vous êtes blessé, même si ça cicatrise, toutes les fois que vous regardez la cicatrice, vous vous en souvenez.

Avez-vous consulté un psychologue pour vos troubles psychologiques ?

Darleine : J’ai dû voir un psychologue parce que je n’arrivais pas à surmonter la douleur. J’en suis arrivée au point d’avoir des pensées suicidaires. La seule chose qui me retenait ce sont mes trois enfants. Je me suis dit : si je meurs, comment feront-ils ? Le père n’en est pas un. Quant à mes parents, ce n’est pas à eux de s’en occuper. C’est à moi de m’en occuper. Par la grâce de Dieu, on m’a mise en contact avec une psychologue qui m’a suivie pendant un mois et demi, deux mois. C’est elle qui m’a aidée à surmonter cette épreuve, à reprendre le dessus, à pouvoir espérer me remarier un jour.

 

Télésphore : Je suis suivi par un psychologue qui travaille avec l’OFLT. Je dois dire que ma rencontre avec cette ONG, mes entretiens avec la présidente et les séances de prière m’ont aidé à me remettre, à reprendre une vie normale. Je crois que ça ira. J’ai appris à ne pas vivre mon traumatisme de l’intérieur, à pardonner à mon ennemi. Avant je n’y arrivais pas. J’étais dans une colère noire. Mais, maintenant, je crois que je suis libre.

Pendant combien de temps avez-vous été victime de violence domestique et quand vous êtes-vous dit : ça suffit ?

Darleine : J’ai été victime de violence pendant toute la période qu’a duré mon mariage. J’ai vécu six ans de calvaire. A la septième année, je suis devenue active au sein de l’OFLT. Le déclic a eu lieu après un atelier de renforcement des capacités. Accompagner les victimes tout en bénéficiant des techniques d’accompagnement des victimes m’a libérée. Je me suis dit : « Je suis moi-même victime. Les choses qu’on me raconte je les vis également. Je ne peux pas à la fois lutter contre les violences et les subir. Une fois ma décision prise, j’ai dit à mon mari : « Je ne veux plus de toi. Je veux divorcer. »

 

Télésphore : Je me suis marié en avril 2010. Le 14 avril 2014, j’ai décidé de partir de la maison. J’avais découvert des choses qui n’étaient pas normales. Je suis tombé malade. C’était difficile. L’hôpital m’a recommandé de faire une échographie abdominale. Je me suis rapproché de la présidente et je lui ai demandé ce que l’ONG pouvait faire pour moi. Elle est revenue vers moi et m’a remis une enveloppe. J’ai fait les examens et j’ai découvert que j’avais une hépatite B. L’une de mes filles avait commencé à débloquer parce qu’elle avait perdu sa mère, ma première épouse. Elle n’a pas pu supporter. Elle voyait sa mère. Et le déclic dont vous parliez s’est produit. Une fois rentré à la maison, j’ai dit à ma femme : « Je ne peux plus continuer comme ça, je pars et je ne reviendrai pas sauf si tu changes de comportement. »

Vos enfants ont-ils été victimes de la violence de votre mari ?

Darleine : Oui. Le premier est une victime. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai quitté la maison. J’étais enceinte de six mois de ma fille, la troisième. Le premier avait 2 ans et le deuxième à peine 1 an. Il sortait même d’une hospitalisation. Le premier, qui était chez ma mère, lui a raconté ce qui se passait : « Mamie, quand on est à la maison, papa tape maman tous les jours et elle crie : Martial laisse-moi. » Ma mère a dit à mon mari : « Attention à ma fille. Je n’aime pas la façon dont tu la traites. » Monsieur s’est enflammé. Il a frappé l’enfant le lendemain en revenant du travail parce qu’il estimait qu’il n’avait pas le droit d’en parler à sa grand-mère. L’enfant hurlait: « Maman, c’est comment ? Maman, viens ! » Je suis allée vers lui, j’ai arraché la spatule. J’ai tapé mon mari. J’ai quitté la maison avec les enfants, j’ai soulevé un sac où j’ai mis quelques-unes de nos affaires et je suis partie chez la petite sœur de ma mère. Je pleurais. Arrivée à son domicile, elle a dit : « Non, ce n’est pas normal. » Elle a appelé mon mari, en vain. « Il ne répond pas. Demain nous irons à la police judiciaire », m’a-t-elle dit. J’ai porté plainte. J’ai remis le document à mon petit frère qui est allé le déposer à son lieu de travail. Une fois sur les lieux, la police judiciaire, voyant mes hématomes, a compati et dressé la plainte. Quand je suis repartie deux jours plus tard, de victime je suis devenue coupable : « Vous, les femmes, c’est comme ça que vous êtes ! Quand vous êtes enceinte, vous avez des humeurs. C’est toi qui as dû embêter l’homme d’autrui parce que, quand on le regarde, on ne peut pas imaginer que cet homme-là est violent. » Pire, il n’a pas été poursuivi.

Faites-vous un travail sur vos enfants pour les aider à surmonter les traumatismes ?

Darleine : Auprès des miens, j’ai pu constater des traumatismes. Quand nous vivions encore ensemble et que le père était au boulot, les enfants étaient contents, épanouis. Mais dès qu’il arrivait, plus personne ne parlait. Ils venaient s’asseoir à côté de moi. Les enfants avaient peur parce qu’il ne voulait pas de bruit. Ce à quoi je répondais : « Comment veux-tu empêcher des enfants de 1 et 2 ans de jouer ? C’est leur travail. Ils ne savent faire que ça. Manger, jouer, dormir. Dès qu’il y avait du bruit, il les tapait. Quand il partait en voyage, les enfants étaient en paix. Ma mère et moi leur parlions. Aujourd’hui, ils n’y pensent plus trop, ils ne demandent même pas après leur père car ils ont mes frères, ma famille, qui comblent ce vide.

Pensez-vous que le système judiciaire protège suffisamment les victimes ?

Télésphore : Ce n’est pas facile, surtout pour nous les hommes. Les hommes ne s’exposent pas, ne manifestent pas. Ce sont les femmes qui le font. Il y a quelques années, ce n’était pas facile. On ne parlait pas de violence basée sur le genre. Le genre ne concerne pas uniquement les femmes. Les hommes aussi sont concernés. C’est la raison pour laquelle je témoigne. Je ne parle pas politique, mais de choses que j’ai vécues. A l’ONG, quand une victime arrive et qu’on l’emmène vers les personnes qui sont censées régler le problème, vous vous retrouvez avec une patate chaude au visage. La lutte a été âpre pour que les femmes aient des droits. C’est le travail des ONG. Maintenant, la parole commence à se libérer. Vous avez parlé du numéro vert. Nous sommes entrés dans cette lutte. Il faudrait que la protection – les femmes en bénéficient déjà – s’étende aux hommes.

 

Darleine : Dans mon cas, je n’ai pas du tout été protégée. J’étais surprise d’apprendre que la victime que j’étais était devenue coupable. « Ce qui vous arrive, m’a-t-on dit, est de votre faute. Que veux-tu qu’on fasse de ton mari ? Qu’on l’enferme ? Etant donné que vous êtes mariés, ce n’est pas à la police judiciaire de régler ce genre de problème. C’est au tribunal de le faire. Que voulez-vous, Madame ? » « Ce monsieur, ai-je répondu, est le père de mes enfants. Je ne veux pas qu’on l’enferme, je voudrais qu’on le corrige pour qu’il change de comportement. » On m’a demandé si je voulais rester avec mon mari ou repartir chez mes parents. Ce à quoi j’ai répondu : « Je repars chez mes parents jusqu’à l’accouchement à condition qu’il paye le trousseau et l’hôpital parce qu’à chaque accouchement par césarienne je payais 150 000 F CFA bien que je sois assurée CNAMGS. Il a apporté une partie des médicaments. Quand je suis repartie voir la femme qui me suivait, elle m’a dit : « Votre histoire me fatigue. » J’étais frustrée, déçue de voir qu’une femme comme moi qui est censée me soutenir, m’accompagner, m’aider, ne le fasse pas. Je suis revenue à l’ONG qui a payé l’ordonnance, l’hôpital et le trousseau.

Femme; ONG

 Les victimes Darleine et Télésphore, et Jeanne Clarisse Dilaba, Présidente de l’ONG Femme Lève-toi

Avez-vous relevé une certaine évolution en termes de soutien aux hommes victimes de violences domestiques ?

Télésphore : Non. Franchement, non ! Car aucun texte ne protége l’homme. On parle des violences basées sur le genre. Même quand vous allez dans les séminaires, on touche un pan de l’homme, mais on s’appesantit davantage sur la femme. Nous, en tant qu’ONG, devons dire : « Attention aux violences ! » « Vous avez dit les violences basées sur le genre, donc il y a les femmes et les hommes. C’est la raison pour laquelle j’ai accepté de témoigner. Les hommes font partie de ce combat. Il est vrai que nous ne pouvons pas déjà tout obtenir. Les femmes ont déjà obtenu quelque chose, ce qui est une bonne chose en soi parce qu’elles sont le maillon faible. Les hommes ne sortent pas du silence à cause de leur égo. C’est la raison pour laquelle nous, en tant qu’ONG, disons aux hommes de parler. Des personnes, des hommes, perdent leur vie à cause de la violence parce qu’ils ne savent pas où donner de la tête. Les névrosés que vous voyez sur les routes en font partie. Il faut briser le silence, en parler, témoigner.

Depuis quand êtes-vous membre de l’OFLT et que vous apporte-t-elle ?

Télésphore : Lorsque je décide de partir de chez moi, c’est l’OFLT qui me donne deux mois de loyer pour aller trouver un petit studio aux Trois Quartiers. Pour le reste, je me débrouillais parce que je faisais quelques petits travaux. Mais, ce n’était pas facile. Une de mes sœurs m’a dit : « Va occuper l’appartement que ta nièce a laissé puisqu’elle est affectée à Bitam. J’y suis resté pendant un temps avec mon neveu. J’ai commencé à avoir des problèmes parce que madame me suivait jusque là-bas. Heureusement, il y avait un gardien. J’ai failli me faire agresser à Nombakele. J’ai découvert qu’elle en était l’instigatrice. C’est ainsi que je suis parti de là-bas. L’ONG m’a logé pendant deux ans. Je suis membre de l’ONG depuis 2014. J’ai participé à plusieurs formations.


Darleine : Je suis membre de l’ONG depuis octobre 2018. J’ai d’abord intégré l’ONG en tant que victime. J’y ai adhéré officiellement après mon accouchement. Depuis que j’y suis, j’ai beaucoup appris. Après le baccalauréat, je suis allée à l’UOB. Avec les grèves, ça ne marchait pas. Je suis allée dans une école suivre une formation musicale à l’académie de musique Auguste Mbadouma. Il m’était difficile de continuer la formation.


Mon mari a perdu son emploi juste avant le mariage. On s’est retrouvé dans une précarité qui ne dit pas son nom. Et, c’est à ce moment-là que monsieur m’a fait subir des violences alors que j’étais enceinte. Je ne faisais rien. En intégrant l’ONG, j’ai eu la possibilité de suivre d’autres formations en bureautique et j’ai commencé à exercer à l’ONG en tant que permanente, à faire le suivi, à être secrétaire de l’ONG, puis coordinatrice générale. J’ai acquis plusieurs automatismes et connaissances. Ce après quoi, je me suis fait enregistrer à l’ONE (Office national de l’emploi). Au sein de l’ONG, je suis devenue la voix des sans voix, je parlais de ce que j’avais vécu, j’ai aidé d’autres personnes à dévoiler et dénoncer les violences qu’elles subissaient. En étant à l’ONG en tant que présidente du Mouvement Jeunesse, j’ai pu bénéficier d’un voyage en Côte d’Ivoire.

Pour conclure, comment vous sentez-vous aujourd’hui dans votre chair et dans votre tête ? Avez-vous encore peur ?

Télésphore : Je peux dire que je me sens bien parce que je m’exprime, mais il m’arrive d’avoir des angoisses. C’est le choc qui les provoque, mais je suis libre maintenant. C’est pour cette raison que je me suis engagé dans ce combat, et je voudrais que les autres hommes qui ont vécu la même situation que la mienne soient libres. Il y a de l’espoir. On peut refaire sa vie, il suffit de prendre son courage à deux mains, s’adresser aux bonnes personnes. C’est la raison pour laquelle nous avons des plateformes comme l’OFLT pour montrer aux gens qu’ils ont des droits. Elle nous en donne les moyens. Les gens ne doivent pas avoir peur de partir. Il faut partir pour de bonne raisons et non pour devenir ivrogne. On peut s’en sortir. Il faut frapper à la bonne porte. Voyez comment Darleine s’exprime. Quand j’ai fait sa connaissance, elle était timide. Aujourd’hui, quand elle s’exprime, vous ne pouvez plus l’arrêter, elle est libre. Donc à l’ONG FLT, on libère les âmes enchainées.


Darleine : Il n’y a vraiment pas photo entre la Darleine d’il y a six ans et la Darleine d’aujourd’hui. Je me sens épanouie, je me sens libre parce qu’avant j’avais l’impression de vivre dans une prison, de vivre en enfer. Aujourd’hui, je suis logée par l’ONG, j’ai un sommeil paisible, je suis en paix, je suis à l’aise, j’arrive à faire beaucoup de choses et à partager ce que j’ai vécu, à faire ce que j’aime faire. Ai-je encore peur ? Non, plus du tout ! Je suis comme une lionne blessée. Je suis devenue dure, catégorique, je sais ce que je veux, je me donne les moyens d’aller où je veux. On ne me piétine plus, on ne me mène plus à la baguette. Aujourd’hui, j’arrive à m’assumer, à me prendre en charge. Toutes les fois que je suis avec des personnes qui s’apitoient sur leur sort, qui se morfondent, je leur dis : « Vous n’allez pas résumer votre vie à un seul homme. Tu es une femme, tu as du potentiel, tu es belle, tu es intelligente, tu es capable de réussir. » C’est la raison pour laquelle, dans le Mouvement de Jeunesse, endroit où je m’exprime le plus, je dis aux jeunes : « Tu sais ce que j’ai vécu, d’où je viens ? Toi aussi tu peux. J’amène les femmes à prendre conscience de leur état, de la valeur qu’elles ont, de ce qu’elles sont capables de faire.


Propos recueillis par Eric Ozwald & Abdanna Ssir

 


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