VIOLENCES DOMESTIQUES ET DROITS DES VICTIMES

« Vivre » : Me Farafina Boussougou-Bou-Mbine, le Gabon a-t-il mis en place un cadre juridique pour protéger les victimes des violences domestiques qu’elles soient femmes ou hommes ?
Me Farafina Boussougou-Bou-Mbine : Le Gabon a mis en place un dispositif de protection des victimes des violences domestiques. Lorsque les violences sont d’ordre physique, il s’agit d’une infraction à la loi pénale, ce sont des coups et blessures. Le législateur devrait en faire un facteur aggravant lorsque les violences ont lieu entre époux. Mais ce n’est pas le cas pour l’instant. Il s’agit simplement d’une infraction. Un coup est un coup qu’il soit porté à l’endroit d’un étranger ou à l’endroit de son mari ou de sa femme. Ce sont des coups et blessures, voilà un biais par lequel le droit saisit ce phénomène de violence domestique. Si vous portez main, si vous portez des coups à votre conjoint vous êtes susceptible d’en répondre devant le tribunal correctionnel. Et si à la suite de ces coups, mort s’ensuit, vous pouvez répondre de vos actes devant la cour criminelle.
Quels sont les droits des victimes des violences domestiques ?
Le premier droit, c’est le droit à la parole. Il faut parler, décrire ce qui vous arrive. Tout phénomène nécessite qu’il soit dit, nommé. Les victimes de ces violences, directes ou indirectes, doivent pouvoir tirer la sonnette d’alarme afin que la cellule familiale d’abord et la société dans son ensemble soient mieux protégées. L’objectif de l’humanité ou la différence entre l’humain et l’animal c’est quand même la capacité à dompter la nature pour faire apparaitre l’humain dans toute sa splendeur en dehors des coordonnées liées au sexe. La dignité de l’homme réside dans sa capacité à être humain qu’il soit femme, qu’il soit homme, mais c’est l’humain qu’il faut faire apparaitre.
Passé le stade de la parole et de la description, il faut saisir la bonne institution et, de ce point de vue, tout dépend du milieu dans lequel on vit. Si l’on habite dans un village qui est très éloigné d’un poste de police ou de gendarmerie, et encore davantage d’un tribunal, il est évident qu’il y a des autorités déconcentrées. Il faut les saisir. Il y a toujours des chefs de quartier, des chefs de village, des sous-préfets. La protection d’une victime commence par elle-même, par la mise en œuvre d’un certain nombre d’actions concrètes. Il faut parler, il faut porter l’information à la connaissance de qui peut donner suite. Les institutionnels que j’ai mentionnés sont des personnes qui peuvent donner suite à un acte de violence afin d’y mettre un terme.
Dans le cadre des violences domestiques d’ordre physique, les premiers concernés sont les parents et, parmi les parents, les témoins parce que avant que l’information n’arrive chez le père et la mère de la mariée, en général on appelle les témoins du mariage. Avec cette idée que si l’information arrive auprès du père ou de la mère, c’est déjà un stade extrême qui peut aboutir à une séparation. En général, il faut parler aux parrains, marraines, ou aux témoins en tout cas, de sorte que ces derniers soient un premier filtre ou un premier cercle qui puisse donner des conseils. Vous savez, l’homme avec un grand H, l’homme et la femme ne sont pas insensibles. Tout dépend de l’éducation que chacun a reçue, et tout dépend de la vision qu’on a vis-à-vis de l’altérité. Si l’altérité représente un facteur de concurrence au lieu de représenter un facteur d’émulation ou de complémentarité, il est évident qu’un couple où il y aurait une très grande différence, une très grande disparité dans les aspirations, il est évident que nous avons là un couple où le conflit est quasi permanent. Je pense que par l’éducation, par la répétition de l’éducation, on peut parvenir à mettre un terme, en tout cas à mettre un filet de sécurité sur les actes de violence.
En termes d’éducation, qu’est-il fait pour sensibiliser les populations, les couples, au phénomène de la violence domestique ?
La communication reste, de mon point de vue, au niveau institutionnel. Le gouvernement fait des séminaires de restitution, un certain nombre de travaux, de colloques, mais je crains que les informations tirées ou les conclusions auxquelles aboutissent les études des séminaires n’arrivent pas toujours à leurs destinataires.
Qui a accès à ces informations ?
L’atout au Gabon c’est que plus de 80% de la population sait lire et écrire. La documentation est disponible. Mais combien la lise ? Depuis le CP1, les gens savent lire et écrire, mais très peu aiment lire. La lecture n’est pas le canal le plus usité pour accéder à l’information quelle qu’elle soit. Le canal le plus utilisé est la télévision et surtout, désormais, les réseaux sociaux, où des hommes et des femmes d’église traitent des questions relatives aux rapports dans le couple, à travers des témoignages, des histoires moralisatrices. Voilà un moyen d’éducation disponible qui permet à quiconque possédant un téléphone Android, d’en tirer profit, pour soi ou pour autrui.
Jusqu’à quel point les juristes, les avocats par exemple, sont associés aux ateliers sus-mentionnés ?
Les juristes sont associés à divers niveaux, soit parce qu’eux-mêmes font partie de telle ou telle association, soit parce que dans le cadre de l’élaboration ou de la rédaction d’un rapport, d’une étude, le gouvernement leur fait appel. Personnellement, il y a quelques années j’avais été sollicité par le ministère de la Famille qui travaillait de concert avec l’UNFPA (Fonds des Nations unies pour la population) pour réaliser une étude sur les discriminations dans la deuxième partie du Code civil. C’est une étude que Mme Nzé Bitéghé et moi avons réalisée à la demande du ministère de la Famille. Il y a un opus qui est sorti et qui circule d’ailleurs sur Internet. Oui, les juristes sont associés, mais ils ne le sont pas toujours en raison du manque de financements.
Les plaintes déposées au niveau des tribunaux pour coups et blessures au sein des foyers finissent-elles par aboutir ? Les auteurs sont-ils punis ?
De tels cas sont connus par les tribunaux, mais c’est relativement rare. En général, les coups et blessures (malheureusement) donnent lieu à la rupture de la liaison. Donc, c’est à travers le prisme de l’instance en divorce qu’apparaissent ces phénomènes-là. Je parlais tout à l’heure du dossier d’une femme dont le crâne avait subi des violences avec une crosse de révolver. Elle avait des points de suture. Elle a porté plainte au pénal mais, faute de bras longs, sa plainte n’a pas abouti. Il semble que le mari avait des connaissances, des barrages au niveau du parquet. Il n’y a pas eu de suite. Je pourrais terminer en évoquant l’autre aspect des violences domestiques. La violence à l’encontre des enfants qui existe également, malheureusement. Elle est le fait des parents, proches ou lointains, et là aussi il faut véritablement éduquer pour éveiller les consciences.
Et pour conclure cet entretien ?
Je vous remercie d’être venue me voir pour réaliser cette interview. Je vous engage à continuer, je vous encourage en vous souhaitant plein succès pour le magazine. Relativement au sujet abordé, il faut que les changements soient impulsés, mais le premier changement est celui qu’on assume soi-même. L’homme par nature est rebelle, il n’aime pas la contrainte sauf lorsqu’elle est accompagnée de la surveillance, donc la punition. Mais l’auto-éducation est le premier facteur des droits de l’homme et le premier facteur de la stabilité et du bien-être. Si l’on ne s’auto-éduque pas, toutes les dérives sont possibles dans les familles. Cela concerne nos rapports. Est-ce qu’on porte sa main sur son semblable ? Je pense que si l’on s’auto-éduque, on se dit qu’il y a forcément des substituts à cela. Il faut travailler au Gabon pour que la société soit davantage pacifiée. C’est le souhait que je formule à l’endroit de votre magazine. Que votre magazine continue à faire reculer les ténèbres de la violence et de l’ignorance parce que là aussi c’est l’ignorance qui fait qu’on devient violent à l’endroit de ses semblables.
Propos recueillis par Flavienne L. Issembè